Roman #05 | Le Prieuré de l’Oranger, de Samantha Shanon

Le Prieuré de l’Oranger de Samantha Shanon aux éditions De Saxus

« Pour être la sœur d’un dragon, tu dois non seulement avoir une âme d’eau, mais aussi le sang de la mer, or la mer n’est jamais pure. Elle est complexe. Elle recèle des ténèbres, du danger, de la cruauté. Elle peut raser des cités entières sous le coup de la colère. Ses profondeurs sont insondables, et n’ont jamais vu la lumière du soleil. Être une Miduchi, ce n’est pas être pure, Tané. C’est être comme la mer. C’est pour ça que je t’ai choisie. Parce que tu as le cœur d’un dragon. »

RÉSUMÉ :

Un monde divisé. Un reinaume sans héritière. Un ancien ennemi s’éveille.

La maison Berethnet règne sur l’Ynis depuis près de mille ans. La reine Sabran IX qui rechigne à se marier doit absolument donner naissance à une héritière pour protéger son reinaume de la destruction, mais des assassins se rapprochent d’elle.

Ead Duryan est une marginale à la cour. Servante de la reine en apparence, elle appartient à une société secrète de mages. Sa mission est de protéger Sabran à tout prix, même si l’usage d’une magie interdite s’impose pour cela.

De l’autre côté de l’Abysse, Tané s’est entraînée toute sa vie pour devenir une dragonnière et chevaucher les plus impressionnantes créatures que le monde ait connues. Elle va cependant devoir faire un choix qui pourrait bouleverser son existence. Pendant que l’Est et l’Ouest continuent de se diviser un peu plus chaque jour, les sombres forces du chaos s’éveillent d’un long sommeil… Bientôt, l’humanité devra s’unir si elle veut survivre à la plus grande des menaces.

AVIS | ★★★★★

Aux amoureux d’heroic fantasy, Le Prieuré de l’Oranger s’impose de façon aussi évidente que l’Assassin Royal de Robin Hobb ou, comme c’est indiqué sur la couverture du superbe ouvrage par Laure Eve, que Le Trône de Fer de George R.R Martin.

J’ai toujours un peu d’appréhension à commencer un roman de medieval fantasy car il est extrêmement facile de retomber dans les clichés et les réécritures d’œuvres déjà magistrales dans cette catégorie. Samantha Shannon a réussi le pari de construire un univers nouveau et riche qui échappe en partie à cette catégorisation souvent réductrice. Le premier élément que je veux faire remarquer et qui a classé ce roman dans mes réels coups de coeur à 5 étoiles, c’est le féminisme subtilement présent dans l’oeuvre. Les femmes dans le Prieuré de l’Oranger sont des femmes de pouvoir avec leurs forces et leurs faiblesses, évidemment, mais dans un monde médiéval où nos propres visions s’imposent au milieu d’un royaume rempli de rois, de chevaliers et de combattants Samantha Shannon nous propose un reinaume, avec des reines de pouvoir, des combattantes et des guerrières.

Les intrigues de cour sont tout aussi présentes que dans GoT ou l’Assassin Royal, les trahisons, les guerres et les alliances font rage tout au long de cette histoire fantastique pour le plus grand plaisir des lecteurs ; mais le livre nous réapprend à briser nos a priori fondés sur la propre histoire de nos sociétés médiévales, avec un pouvoir et des capacités de combats presque exclusivement masculins. Ainsi, je me suis retrouvée à lire une scène dans laquelle il est écrit que les gardes royaux se ruent dans les appartements pour protéger la reine et dans la phrase suivante d’être la première surprise en s’apercevant que « une première garde arriva près de la porte. » Oui , une et pas un, ça n’a rien de fou pourtant, une garde royale, une femme d’armes au lieu d’un homme mais c’est sans cesse ainsi que l’écriture de l’autrice nous surprend subtilement, remettant la place des femmes au même niveau que celle des hommes dans l’univers médiéval, alors qu’honnêtement, on en a pas l’habitude !

Les différentes visions de la religion dans le Prieuré de l’Oranger sont aussi une mise en perspective dont on a peu l’habitude dans ce genre de romans. Ici il ne s’agit pas comme c’est souvent le cas de religions diamétralement opposées mais plutôt, fidèles à la réalité de notre monde, de religions et de traditions qui s’entremêlent, opposant certaines de leurs versions tout en étant en accord sur d’autres. Les divinités priées dans une partie d’Ynnis sont moins considérées à l’autre bout du royaume mais néanmoins présentes et existantes, parfois rejetées… la question est toujours de savoir qui détient la vérité, quelle est l’histoire originelle et réelle de ces entités presque mythologiques que chaque personnage prie de son côté, targuant les autres versions de blasphèmes ou de trahisons…

De plus, j’ai particulièrement apprécié l’utilisation de quatre narrateurs différents pour cette histoire, deux hommes et deux femmes avec des cultures et des points de vue très éloignés qui nous aident à situer les différentes intrigues et surtout à prendre du recul sur les avis politiques ou religieux de chaque partie du reinaume. La confrontation de leurs visions des choses nous oblige à prendre de la hauteur et à mieux comprendre les rouages des pouvoirs faisant rage dans le reinaume d’Ynnis. Si les noms propres, les événements passés, les termes inventés et les lieux sont très nombreux, les glossaires en fin d’ouvrage sont extrêmement utiles et appréciables lorsque la mémoire nous fait défaut.

Je finirai donc cette longue chronique en vous conseillant de ne pas avoir peur de la taille de ce petit dictionnaire (oui 1000 pages ça peut faire peur !) car je l’ai personnellement dévoré en moins de deux semaines. L’intrigue y est addictive, les relations entre les personnages passionnantes et l’écriture de Samantha Shannon d’une beauté qui lui est propre -je pense par exemple à la citation en haut de page. Elle a su jouer avec les canons de l’heroic fantasy en les déjouant de manière habile … et c’est un régal pour les lecteurs que nous sommes !

UN PERSONNAGE FAVORI ?

Je suis tombée amoureuse du personnage de Tané, de sa force physique mêlée à cette faiblesse mentale, qui n’en est pas vraiment une et à cette culpabilité qu’elle combat tout au long du roman. Elle est l’exemple d’une guerrière née pour être dragonnière, qui a façonné son être et fait ses choix de vie dans cet unique et ultime but pour finalement se retrouver malmenée par les événements qui secouent l’univers dans lequel elle évolue. Elle est d’une détermination farouche, associée à une sensibilité certaine, en particulier à l’égard des dragons devant lesquels elle accepte de montrer son coeur et son âme. Elle est très différente d’Ead et de Sabran qui sont pourtant des personnages que j’adore aussi. La relation entre ces deux dernières est certainement ce qui m’a le plus tenu en haleine au fil de ma lecture !

LE ROMAN EN QUELQUES MOTS ?

Femmes ; Pouvoir ; Guerre ; Religion

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